BENEDETTI BAPTISTE
1914-1917
Un Aullènois à Craonne
Ce document retrace la campagne militaire de l’Aullènois Baptiste Benedetti lors du premier conflit mondial, au cours duquel il disparut.
On pardonnera à son auteur quelques mises en situations, qui même si elles ont été imaginés pour éviter une trop grande sécheresse du texte n’en demeurent pas moins réalistes.
Il est le fruit de près de 20 années de recherches sur le terrain et de consultations d’archives militaires et civiles, de cartes, de Journaux de Marches et d’Opérations, d’historiques de bataillons, de récits de soldats ayant combattu sur les mêmes champs de bataille.
Il est surtout un hommage rendu à celui des trois frères qui n’est jamais revenu au village et dont les restes ne reposent pas au sein de son île natale.
Nicolas. BENEDETTI
« …Mais le cimetière que voici ne doit rien à la vieillesse ni à la maladie. C’est un cimetière d’hommes jeunes et forts.
On peut lire leurs noms sur les cents petites croix pressées qui répètent tout le jour, en un chœur silencieux : Il y a donc quelque chose de plus précieux que la vie, il y a donc quelque chose de plus nécessaire que la vie … puisque nous sommes ici. »
Georges DUHAMEL
Vie des martyrs
C'est à Craonne, sur le plateau…
Le 31 mai 1917, à 22 heures, les hommes du 64e bataillon de chasseurs alpins (B.C.A.) montent occuper leurs positions de combat sur le plateau de Californie, dans le département de l’Aisne.
Partie du camp Broussiloff, la longue colonne humaine chemine vers l’est en direction du centre Aurousseau, relais de brancardiers et magasin du génie militaire. Les soldats cheminent péniblement dans le bois de Beaumarais entre les gourbis de toile ondulée, traversant des trous d’obus plus ou moins comblés par les arbres couchés par la mitraille. Empruntant les étroits boyaux de communication, les chasseurs abordent le relais de brancardiers Fillot, laissant sur leur droite les ruines arasées du moulin de Pontoy. Après une courte pause, ils repartent en direction du village de Craonne, dépassant de part et d’autre de leur chemin, les tombes sommaires de soldats du 1er régiment d’infanterie (R.I) inhumés en cet endroit, le 16 avril 1917.
Le printemps est chaud au Chemin des Dames et la poussière omniprésente a assoiffé les hommes qui peinent sous le poids de l'équipement réglementaire.
Certains lèvent la tête et remontant le sac sur la nuque d'un coup d'épaule, tentent de mesurer du regard l'effort à fournir pour atteindre le bord du plateau, qui fait saillant, à son coin sud-est, au-dessus de Craonne.
Ce plateau appelé Californie tire son nom de son flanc est, pentu, qui marque l'extrémité orientale de la falaise du Chemin des Dames. Avant la guerre, un riche propriétaire de vignes y avait fait construire une résidence de campagne environnée d’abondants vergers. Certains pensent que le nom « Californie ou California » fut inspiré de l’ile paradisiaque et mythique de « Calafia », imaginée par Garci Rodríguez de Montalvo dans son ouvrage : Las Sergas de Esplandián en 1510. Ayant la forme d'un quadrilatère, le plateau de Californie est précédé à l'ouest par le plateau des casemates (ou plateau de Vauclerc) qui surplombe le village de Craonnelle.
Au nord, se trouvent la vallée de l'Aisne, la ville de Laon et l'ennemi.
C’est enfin l’arrivée dans les ruines tourmentées de Craonne. Le village n’existe plus, réduit à un amoncellement de pierres, de poutres broyées et de fer tordu. Un petit chemin qui serpente parmi les débris de la grande rue en marque le milieu. La 7e compagnie du 64e B.C.A reste en réserve dans le village dévasté tandis que les 6e et 8e compagnies continuent leur périple dans la pénombre. Les chasseurs alpins croisent de petits groupes de brancardiers qui, à la faveur de la nuit tombante, acheminent vers les postes de secours de l'arrière, des blessés et des morts roulés dans des toiles de tentes ou portés sur d'encombrants brancards. La règle veut que ceux qui montent soient prioritaires sur ceux qui descendent, mais cette fois il s'agit d'un camarade durement touché.
L'arrêt est soudain et les chasseurs butent, le nez sur le sac de ceux qui les précèdent.
"Laissez-passez ", un murmure descend le long de la file.
Lorsqu'ils aperçoivent la masse sombre que fait sur le brancard le camarade caché sous sa couverture et dont les gros souliers à clous dépassent, les hommes se rangent sur le coté malgré l'étroitesse de la tranchée et le volumineux "barda".
Un regard pour le collègue moins fortuné et, à l'appel étouffé de l'officier, les chasseurs reprennent leur cheminement brièvement interrompu.
La colonne serpente de nouveau dans d'interminables boyaux partiellement éboulés et piétine dans des tas de pierres, d'ordures et de barbelés rouillés. Les mitrailleurs, tireurs et pourvoyeurs, peinent sous le poids des pièces et des caisses de chargeurs car on n'utilise pas les mulets comme moyen de transports en première ligne.
Un soldat surchargé vient de glisser en se rattrapant à grand bruit de métal et de jurons.
« Silence ! »
`« Ça ne suit pas, faites passer-pas si vite devant ! »
Enfin parvenus sur le plateau, les chasseurs y remplacent leurs camarades du 5e B.C.A.
Peu à peu, les gradés se passent les consignes et les guetteurs sont renouvelés.
La 6ème compagnie s'installe sur deux lignes à la droite du dispositif, la 8e compagnie à gauche.
On assure les liaisons avec les unités qui occupent le terrain latéralement, le 24e B.C.A à l'est et les 18e, 49e régiments d’infanteries (R.I) à l'ouest.
Le journal de marche du bataillon dira que, commencée à 22 heures, cette relève s'est terminée vers 3 heures du matin, « sans incidents ».
Par cette expression, il faut comprendre que les Allemands, qui tiennent toujours solidement le rebord septentrional du plateau, se dispensent d'envoyer obus et grenades sur des hommes qui sont, en cette circonstance, particulièrement vulnérables.
Les deux sections de mitrailleuses, sous les ordres du lieutenant TERRIS, prennent leurs quartiers devant la carrière qui abrite le poste de commandement (P.C.).
Le jour se lève enfin et l'on découvre le groupe de soldats qui s'active à terminer la mise en place des quatre mitrailleuses dans les abris prévus à cet effet.
Arrêtons-nous sur l'un d'entre eux, chasseur de deuxième classe. De petite taille, il a un nez rectiligne et les yeux clairs sous un front fuyant.
Un menton volontaire termine son long visage et les cheveux châtain clair, coupés courts, sont dissimulés sous le large béret bleu-sombre que les Alpins appellent "la tarte" ou "la galette".
Ses camarades le surnomment "Baraqua" et il vient d'avoir 23 ans.
Né le 28 mai 1894 à Monaccia d'Aullène, en Corse du Sud, Baptiste Benedetti a été incorporé au 24e B.C.A de Villefranche-sur-mer, le 19 septembre 1914, sous le numéro de recrutement 1994.
Regarde sur cette carte, si tu as plaisir à me voir…
C’est dans les Vosges qu’il aborde le front pour la première fois. Les 24e et 64e B.C.A vont s’y trouver réunis au sein de la 47ème division d'infanterie (B.C.A : 6 et 7, de 11 à 14, 21 à 24, 27, 28 et 30).
La tenue de Baptiste contraste avec celle, déchirée et délavée, des vétérans des premiers combats (le mot « uniforme » est proscrit dans le vocabulaire des chasseurs).
Il est vêtu de la vareuse-dolman bleue à collets rabattus, sur lesquels on peut lire le numéro de son unité de couleur jonquille; il porte crânement rejeté sur l'arrière de la tête le béret d'origine basque sur lequel est cousu un cor de chasse, symbole de son arme.
Sous sa veste, il a enfilé un chandail de tricot pour le froid et une large ceinture de laine bleue enroulée autour de sa taille lui réchauffe les reins.
Le bas de son pantalon de couleur "gris de fer" se termine par des bandes molletières entrecroisées, longues de plus de deux mètres, accessoires encombrants hérités de l'uniforme des troupes britanniques des Indes, dont le rôle est de mettre de façon virile, les mollets en valeurs.
Pour transporter ses munitions, il possède, comme ses camarades, trois cartouchières noires, dont deux sont portées sur les flancs avec la baïonnette et l'autre dans le dos.
Dans sa main, il tient le lourd fusil réglementaire Lebel, de calibre 8mm mesurant près d'un mètre trente de long.
Sa capote, qu'il porte roulée sur l'épaule par commodité, un bidon métallique d'un litre recouvert d'étoffe pour étancher sa soif, sa musette, la gamelle de fer blanc et le havresac "as de carreau" complètent l'encombrant attirail.
Baptiste a appris à fixer sur son sac, à l'aide de courroies compliquées, la toile de tente et la couverture qu'il roule sur trois cotés, tout contre l'outil portatif individuel (pelle).
A l'image de ses camarades d'infortune qui désignent cet artifice protecteur par le terme populaire de "chaussettes russes", Baptiste a enveloppé ses souliers de plusieurs épaisseurs de chiffons, afin de protéger ses pieds de la morsure du gel.
Les conditions hivernales sont épouvantables et les chasseurs vivent et combattent dans un univers de brouillard et de glace, perdus dans des forets de conifères avec les troncs desquels ils édifient leurs abris de fortune. Par ce froid, se raser et se laver devient vite impossible et la barbe comme les poux s'installent en terrain conquis. L'intendance envoie des vestes en peau de mouton dépourvues de manches qui sont rapidement colonisées par la vermine. A l'image du 15e corps d’armées (C.A), on crée à quelques kilomètres du front, des tanneries où des soldats transforment jusqu’à cinquante peaux par jour, au profit des troupes. Sale et barbu, emmitouflé dans sa couverture et son cache nez, les yeux brillants de fièvre, le légendaire « poilu » vient d'être enfanté par ce premier hiver de guerre. Tout comme Baptiste qui subit le même sort, on évacue par dizaines, des chasseurs que les pieds crevassés par les profondes gelures ne portent plus. Au seul 28e B.C.A, on en compte trois cents qui doivent être retirés des tranchées glaciales de première ligne. Les chirurgiens militaires qui taillent à grands coups de bistouris dans les chairs putréfiées, sont souvent réduits à couper orteils et pieds pour éviter la gangrène.
Collection Benedetti
Le 12 février 1915, le 24ème B.C.A attaque le Südelkorpf, sommet culminant à mille mètres et situé à moins de quatre kilomètres de l'Hartmannswilllerkopf. Les obus de calibre 75 et de 220 ayant matraqué pendant plusieurs heures les défenses ennemies, l'assaut est donné.
Les chasseurs s'enfoncent dans soixante centimètres de neige, et par bonds successifs, s'élancent de sapins en sapins jusqu'aux fils barbelés qui marquent les positions allemandes.
Le clairon sonne l'hymne des chasseurs à pieds, la" Sidi Brahim" et le refrain du bataillon pour stimuler l'ardeur guerrière des hommes qui courbent la tête sous la mitraille.
On dépasse, sans s'arrêter, le copain allongé dans la neige rougie de son sang et le souffle court et l'haleine glacée, on s’abrite un instant derrière un arbre haché par les éclats d'obus.
On épaule le lourd fusil sans viser et on lâche son coup de feu en direction du sommet.
L'épaule meurtrie par le recul de la crosse et les doigts gelés, on risque un coup d'œil pour voir un camarade tituber vers l'arrière, en soutenant dans ses mains jointes sa mâchoire brisée.
Un chasseur rampe dans la neige en serrant dans son poing le manche en bois d'une grenade artisanale. Il en amorce la mèche et appuyé sur son coude, la projète dans la tranchée allemande. Le souffle de l'explosion fait fuser vers le ciel des cris de douleurs et des morceaux de corps mêlés à des débris de toutes sortes.
Au signal, on progresse de nouveau et c'est à grands cris que l'on chasse les Allemands de leurs abris, dans le fracas des coups de fusils et de mitrailleuses. Comme foudroyé, le capitaine de la 4e compagnie s’affaisse brusquement alors qu'il donne ses ordres pour organiser l'occupation de la position.
Debout, un soldat agite un grand fanion pour annoncer le succès aux artilleurs tandis que seize prisonniers désarmés sont renvoyés vers l'arrière.
Très vite, on organise de nouvelles positions défensives pour faire face aux contre-attaques de l'adversaire et se protéger des obus qui vont les précéder.
Le lendemain, dans les mêmes conditions, la 1ère compagnie prend d'assaut la cote 937, au nord-est du Sudel. Ce n'est que le 15 février au matin et sous une tempête de neige, que le 6 B.C.A relève le 24e B.C.A sur la zone de combat.
eLe front des Vosges, au cœur de l’actualité, reçoit la visite du président de la République, Monsieur POINCARE. Ancien chasseur du 11e B.C.A dont il porte l'insigne par nostalgie, il passe en revue les Alpins sur leurs skis à Gerardmer, embrasse quelques petites filles en costume traditionnel qui lui déclament un joli compliment de bienvenue. Il décore un médecin militaire devant les journalistes, puis se promène en traîneau avec le général Putz qui commande l'armée, pour admirer le panorama de la vallée de Munster et de la plaine du Rhin.
Le 22 février, c'est près du village de Cernay que les Allemands appellent Sennheim, que l'on en vient une fois de plus à un violent corps à corps.
En effet, la possession du village de Steinbach situé dans une cuvette, s'avère primordiale pour qui veut s'approprier les collines environnantes d'Uffholz. L'adage « tenir les hauts » reste une obsession pour l'état major breveté du général Putz qui lance une offensive de diversion pour soulager l’attaque du Maréchal Joffre en Champagne.
La lutte y avait d’ailleurs déjà commencé dés le 30 décembre, lorsque des chasseurs alpins cernèrent le village, après avoir passé la rivière la Thur sur un pont précaire établi par le génie. Les Allemands ayant perçu le mouvement français, détruisent rapidement la passerelle en bois par quelques tirs de canons bien ajustés, privant ainsi les attaquants de leur unique chemin de repli. Les chasseurs ne peuvent alors qu'aller de l'avant et abordent Steinbach avec l'énergie du désespoir. Incendié par l'artillerie française dés la première journée de combat, ses ruines sont âprement disputées à plusieurs reprises, et Baptiste y reçoit d'un soldat allemand un coup de baïonnette qui lui perce le flanc gauche.
Il parvient néanmoins à abattre son adversaire et à regagner un poste de secours après avoir appliqué sur sa blessure son paquet de pansement individuel. Aucun organe vital n'est touché et le froid jugule vite l'hémorragie. Baptiste survivra, en cela plus chanceux que son camarade natif d'Aullène, Lovichi Paul Victor, sous-lieutenant au 12e bataillon de chasseurs, décédé deux jours auparavant.
Une fois pansé à l'ambulance chirurgicale, il est évacué vers un train sanitaire qui le conduit à l'hôpital de Villefranche sur mer.
Il s'y trouve encore en convalescence, le 15 mars 1915, quand il écrit une courte missive à son frère Félix, étudiant et futur conscrit de la classe 1916 :
" Bien cher frère
Je t'écris cette carte pour te donner de mes nouvelles qui commencent à être bonnes.
Explique moi ce qu'on t'a répondu pour te passes ton examen et donne moi tout de suite réponse (sic).
Je termine en t'embrassant bien affectueusement, ton frère qui t'aime pour la vie
Baptiste "
Suivra peu de temps après, une longue lettre, dont un court passage nous renseigne sur son état de santé :
"… Moi je vais de mieux en mieux tous les jours, la blessure est complètement guérie depuis quelques jours; et les pieds sont dans une bonne voie de guérison.
Regarde sur cette carte si tu as plaisir à me voir, tu verras si je suis en bon état ou en mauvais état.
Je te prie de l'envoyer tout de suite aux parents; car je n'ais qu'une, et je te l'envoie, et puis que tu vas la renvoyer aux parents pour voir mon état de santé (sic).
Je ne sais pas quand je partirai de l'hôpital.
N'ayant plus rien à te dire, je t'embrasse très affectueusement, ton frère qui t'aime
Baptiste"
En juin 1915, avec le beau temps, le haut commandement ordonne une offensive dans la région de Métzeral, au sud de la ville de Munster.
Baptiste, guéri, a repris sa place dans les rangs du 24e B.C.A aux cotés de ses camarades.
Il y retrouve quelques visages connus, mais observe que les effectifs viennent d'être complétés par les jeunes recrues de la classe 1915, qui inaugurent la nouvelle capote de couleur « bleu horizon ».
Le 15 juin, une formidable canonnade de trois heures et demie marque le début de l'attaque française sur la vallée de la Fecht. En jargon militaire, on parle de « tirs d'efficacité sur les tranchées allemandes ».
Les 6e et 24e B.C.A (5e et 2e compagnies) se portent sur le Braunkopf sous la riposte de l'artillerie de l'adversaire. Ce piton a été fortement fortifié par l'ennemi qui l'a hérissé de blockhaus en béton disséminés parmi des maisons forestières en ruines.
Pour comble de malchance, les canons de 220 français tirent par erreur sur les Alpins qui enregistrent déjà d'importantes pertes dans les tranchées de départ. Les fanfares des chasseurs sonnent la "Sidi Brahim" et rivalisent avec celle des "lignards" du 133e R.I qui joue la "Marseillaise".
« Baïonnette au canon ! »
Un long frisson métallique parcours les hommes alignés. Les mains se font moites et les yeux restent fixés sur les chefs de sections qui donneront tout à l'heure le signal.
Le capitaine consulte sa montre, sort son revolver de son étui et se tourne vers ses hommes : « Allons mes enfants, c'est pour la France ! ».
A 16 heures 30, les Alpins du 24ème B.C.A bondissent en direction du bois du Schawardzal et se heurtent aussitôt à des positions défensives soigneusement enterrées et camouflées.
« En avant, en avant ! » crient les gradés qui, les premiers sortis, donnent l'exemple et exhortent leurs chasseurs qui tournoient sous la mitraille. Un officier tombe et crie : « Ne vous arrêtez pas pour moi, foncez donc ! ».
C'est l'hécatombe, en quelques minutes on va compter quatre-vingt tués et près de trois cents blessés dont beaucoup ne survivront pas. Parmi les morts de cette terrible journée, on relèvera le corps sans vie du chasseur aullènois, CARLI Don-Jean.
Si le 24e B.C.A n'a pu atteindre ses objectifs, le 6e a quant à lui réussi à faire la conquête des pentes dénudées du Braunkopf et du fortin qui en couronne le sommet.
Les chasseurs, renforcés par leurs camarades du 46e bataillon, retournent aussitôt contre l'ennemi, les mitrailleuses lourdes allemandes « Maxim » qu'ils viennent de récupérer et font le gros dos sous les obus.
A onze heures du soir, les Allemands reviennent à la charge et, à coups de grenades obligent les avant-postes à se replier quelque peu. Le sauvage combat qui se poursuit toute la nuit et la matinée du jour suivant, coûte la vie à cinq cents chasseurs.
Après de durs moments, le 24e bataillon parvient finalement à progresser et sera relevé, le 17 juin, par le 47e B.C.A et le 11e B.C.A. Baptiste quitte le champ de bataille qui n’est plus qu’un enchevêtrement inimaginable de fils de fer, de chevaux de frises tordus, broyés, arrachés, un entassement d’armes tordues, de sacs éventrés, de cadavres de chasseurs et d'allemands, les uns à demi ensevelis, les autres mutilés par les obus. La croupe du Braunkopf est complètement ravagée par l'artillerie. Il n'est guère d'endroits où la terre n'ait pas été bouleversée.
Le communiqué officiel dira sobrement qu'en Alsace, nous avons fait des progrès sur les deux rives de la Haute-Fecht, et qu'en nous emparant du Braunkopf, nous avons fait trois cent quarante prisonniers.
A la suite de cette affaire, le 24e bataillon reçoit sa première citation à l'ordre de la VIIème armée, le 9 juillet 1915.
Pendant cette offensive, les chasseurs du 7e B.C.A, encerclés sur le sommet de l'Hilsenfirst depuis trois jours après une contre-attaque allemande, en sont réduits, pour se défendre, à faire rouler des rochers sur les pentes de la colline. Les rares survivants seront miraculeusement dégagés lors d'un retour offensif des Français.
Le 21 juin, les Alpins s'emparent finalement du village de Metzeral en flammes, marquant ainsi l'ultime avancée de nos troupes.
Pour le général en chef de l'armée des Vosges, l'offensive est un plein succès puisquela mission initiale vient d'être remplie et sa popularité dans les médias en devient grandissante.
« Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? » pense-t-il, et ayant réuni ses subordonnés, il leur fait part de sa décision de poursuivre l’offensive en des termes que l'on peut résumer ainsi :
« Messieurs, notre prochain objectif sera le Lingekpof et ses sommets voisins, le Schratzmännele et le Barrenkopf. En occupant ces montagnes qui forment un arc de cercle d'une dizaine de kilomètres, nous pourrons continuer notre avance dans la vallée de Metzeral et obtenir la percée décisive sur la plaine d'Alsace.
Je veux que l'effort principal soit mené, au nord, sur le Lingekopf, par la 129ème division d’infanterie (D.I) que je place sous vos ordres. Pour que l'affaire soit sûre, je lui adjoins la 3ème brigade de chasseurs alpins.
Le jour J sera le 20 juillet, à 14 heures.
Messieurs, j'ai confiance en vous, vive la France, la victoire est à nous ! »
Si l'optimisme est de mise chez les hauts gradés, les "poilus" qui ont appris à estimer les talents de bâtisseurs des Allemands, se montrent plus inquiets.
Baptiste sait bien, pour les avoir entendus travailler, que ces derniers ne sont pas restés inactifs et qu'ils ont amoncelé fortifications et mitrailleuses, sur les sommets convoités.
Le scénario de l'offensive de juillet 1915 va ressembler en tout point aux précédents.
D'abord l'artillerie française légère, en nombre insuffisant, tonne pour annoncer le début du massacre, puis c’est à 18 heures, la sortie des troupes des tranchées de départ.
Les pionniers arrivent les premiers sur les réseaux de barbelés qu'ils espèrent couper avec leurs cisailles, mais ils sont abattus les uns après les autres, sans avoir réussi à ouvrir un passage.
Les chasseurs des 6e, 24e et 64e B.C.A refluent sous les balles sur les pentes ouest du Petit Reichacker, en laissant devant les positions allemandes de nombreux tués et blessés, dont le commandant du 24e, atteint le 21 juillet par un éclat d'obus. Dès 18 heures 30, le commandant du 46e B.C.A resté en réserve, reçoit un message l’informant que le 6e bataillon alpin a subi de lourdes pertes.
C'est après trois attaques sanglantes et grâce au soutient du 46e B.C.A, que deux compagnies du 24e B.C.A parviennent au sommet du piton, capturant ainsi une soixantaine de soldats ennemis.
Triste journée pour le village d'Aullène, qui vient de voir tomber l'un de ses enfants en la personne de COSTANTINI Paul-Antoine, chasseur au 6e bataillon de chasseurs.
Dans le cadre d'une profonde restructuration militaire rendue nécessaire par le manque chronique de soldats, Baptiste est versé le 12 octobre 1915 au 64e B.C.A (bataillon de réserve du 24e B.C.A) dans la première section de mitrailleuses. Alors qu'ils ne possédaient qu'une seule section de ce type au début des hostilités, les bataillons alpins comptent désormais deux pelotons composés pour chacun de deux sections, soit un total de huit mitrailleuses.
Baptiste doit se familiariser avec ses nouvelles armes et en premier lieu avec le mousqueton de calibre 8 mm qu'il adopte à la place de l'encombrant Lebel. Sa mitrailleuse est une robuste et fiable Hotchkiss de 1914, qui vient de remplacer la St-Etienne modèle 1907, dont la tendance à s'enrayer était devenue chronique.
La mauvaise saison est de nouveau là et la pluie se fait glaciale. Dépourvus du nouveau casque «Adrian» en tôle emboutie qui équipe déjà leurs camarades, les chasseurs alpins, exténués, se préparent à passer leur deuxième hiver de guerre. Pour ne pas sentir le froid, ils boivent, souvent sans modération, un rhum qui sent l’éther et l’iode, ainsi que le vin rouge râpeux fourni par l’intendance.
L'offensive française en Champagne, entre la Suippes et l'Aisne, occulte dans les communiqués le front des Vosges, qui s'immobilise dans une guerre de tranchées.
L'artillerie des deux bords n'en reste pas moins active et un obus fauche le 29 décembre le général SERRET, lors de sa tournée d'inspection. Amputé de la jambe droite, il décède en janvier 1916, laissant vacant le commandement de la 66e D.I qui deviendra la future «division bleue».
Février 1916 voit débuter la formidable attaque des troupes allemandes sur le secteur de Verdun, et il n'est plus question, dans la presse officielle, des Alpins des Vosges. Toute la puissance industrielle allemande a été mobilisée afin de constituer un effroyable rideau de feu qui lamine les unités françaises, les unes après les autres.
Le 13 mars 1916, Baptiste et ses camarades s’embarquent à Gerardmer pour Bussang, puis le 6 mai, ils rejoignent la zone de repos de Saint-Amarin. Le 26 mai, c’est le retour en première ligne, dans le sous-secteur de l’Alsacienne (cote 425) en avant de Thann.
Le 25 juin 1916, Antoine FERRACCI domicilié à Marseille, écrit à son beau-frère, Jean BENEDETTI, père de Baptiste :
« … Je te dirais que Baptiste est parti le soir à 11 heures et depuis je n'ai plus de ses nouvelles, le frère d'un des locataires de la maison qui est en arrière au dépôt comme cuisinier, nous à écrit qu'il y a passé à son arrivée mais qu'il n'a pu seulement s'y arrêter pour dîner. »
En effet, Baptiste qui vient d'achever une permission au village d’Aullène, a débarqué du bateau qui le ramenait d'Ajaccio au port de Marseille, puis est parti rejoindre Villefranche sur Mer avant de remonter au front.
Pour Baptiste, devenu un vétéran depuis que les jeunes conscrits de la classe 1916 ont rejoint leurs unités, le moment est venu d'affronter les dangers d'une nouvelle bataille dans les rangs de la 66ème division d'infanterie, sous les ordres du général LACAPELLE.
Chasseur toujours volontaire et très courageux…
Baptiste écoute avec attention son lieutenant qui s'adresse à sa section de mitrailleurs :
« Il vous appartient de soulager vos camarades qui combattent à Verdun, nous attaquerons donc ici avec l'aide de nos camarades britanniques ». « Mission de sacrifice » murmure un camarade de Baptiste à son oreille. « Les fritz d'ici ne peuvent pas être plus mauvais que ceux du Braunkopf » lui rétorque un autre qui a tout entendu. Ils ne le sont pas moins en tout cas. N'ignorant pas les desseins du haut commandement français, ils ont accumulé les ouvrages fortifiés sur leurs positions, transformant les maisons en forteresses et creusant de profonds abris à l'épreuve des obus du plus fort calibre.
Derrière des kilomètres de profonds réseaux de fils barbelés et de chevaux de frises, sont disséminés des blockhaus en béton, armés de mitrailleuses et de "canons-revolvers".
De notre coté, on ne lésine pas non plus sur le matériel. On entasse tous les dix-huit mètres les canons que le général JOFFRE a refusé de céder au général PETAIN, pour le secteur de Verdun.
Les Alpins, troupes d'élites, se voient attribuer trois des seize kilomètres du front français entre Péronne et Bapaume, avec pour objectif d'atteindre la route qui relie ces deux agglomérations.
Le général FOCH, méthodique, n'envisage pas une ruée à travers les lignes ennemies, mais un combat organisé, conduit d'objectif en objectif, à la suite d'un pilonnage violent et efficace de notre artillerie.
Pendant sept jours et sept nuits, des canons de tous genres déversent une pluie d'acier sur les soldats allemands terrés dans leurs abris souterrains creusés à douze mètres de profondeur.
Certains perdent la raison et leurs camarades doivent les ceinturer afin de les empêcher de sortir à découvert et de se faire hacher par les obus.
Nos alliés anglais alternent des attaques au gaz avec de petites opérations offensives destinées à préparer l'assaut général du 1er juillet. Un soldat anglais audacieux et armé d'un «casse-tête» artisanal, saute dans la première ligne allemande au cours d'une alerte aux gaz. Prenant les guetteurs à revers et profitant du fait que leur masque limite leur champ de vision, il fracasse le crâne de plusieurs d'entre-eux avant de s'éclipser sans bruit.
Tenu en réserve, c’est seulement le 1er septembre que le 64e B.C.A monte en ligne relever le 15e Bataillon de chasseurs, en face de Cléry-sur Somme.
Repérée par les observateurs allemands, la colonne se voit matraquée par les obus explosifs de tout calibre et les obus à gaz qui provoquent de nombreuses pertes humaines.
Le 3 septembre à midi, c’est l’attaque en direction de Cléry. Sous les tirs de mitrailleuses, la 8e compagnie progresse sur la droite, capturant 50 ennemis mais les 10e et 9e compagnies se trouvent stoppées par la résistance opiniâtre des allemands. A 15 heures, le poste de commandement du bataillon s’installe à la corne nord du village et c’est seulement à la nuit que la 10ème compagnie pourra faire sa jonction sur sa droite avec la 8e.
La journée du 4 septembre est occupée à regrouper et ravitailler le bataillon, soigner les blessés et inhumer les tués dans des sépultures sommaires. Le 5 septembre à 12h30, les coups de sifflets relancent en avant les chasseurs des 64e et 68e bataillons, au coude à coude avec les tirailleurs coloniaux du 2ème régiment mixte. A droite, Baptiste et ses camarades mitrailleurs soutiennent l’assaut des grenadiers en un combat court et violent au cours duquel sont capturés 20 prisonniers. Quand l'ordre d'avancer est de nouveau donné, Baptiste empoigne son arme brûlante et gainée de boue et la pose sur son épaule. Prudent, il a eu soin d'ajuster la protection réglementaire en côte de maille, qui protégera son torse et sa main de la chaleur intense qu'elle dégage. Ses camarades chargés du support de la mitrailleuse et des bandes de munitions le suivent jusqu’à la sortie est du village, derrière un grand talus d’où ils s’organisent pour gêner par un feu intense les mouvements des troupes ennemies qui arrivent en renfort. Le P.C du bataillon rejoint à 17 heures, au talus, Baptiste et les autres mitrailleurs qui maintiennent leur position sous une pluie d’obus. A gauche du dispositif, sous une grêle de balles, les chasseurs tombent les uns après les autres sans pouvoir aller plus loin que la cote 109, sur le chemin de Cléry. A la faveur de l’obscurité naissante, les survivants pourront enfin rejoindre la position avancée que constitue le groupement de mitrailleurs et le poste de commandement. Dans la nuit, le 64e B.C.A relevé et dont 400 soldats et 12 officiers manquent à l’appel, se replie en deuxième ligne, avant de partir dans la nuit du 6 au 7 septembre prendre des positions de repos à Ménerval (Région de la Haute Normandie).
Une citation (ordre général N° 954 de la 66e D.I) viendra témoigner de la bravoure des mitrailleurs : « La compagnie de mitrailleuses du 64e B.C.A sous les ordres du lieutenant TERRIS, le 3 septembre 1916, devant Cléry-sur-Somme, s’est portée résolument à l’assaut, a atteint l’objectif et a ainsi entraîné le reste du bataillon, qui venait de subir les pertes les plus sévères. A capturé, dans le village, 20 prisonniers et a, par la puissance de ses feux de surprise, arrêté net la contre-attaque allemande ».
Le 13 octobre, c’est un bataillon reposé mais à effectif réduit qui remonte en ligne, dans le secteur du village de Sailly-Saillisel. La compagnie de mitrailleuse dont fait partie Baptiste ne possède plus que trois sections sur quatre. Le jour même, la 10e compagnie et une section de mitrailleuse sont mises à disposition du 68e B.C.A pour soutenir une action de faible envergure, au sud du village, qui débutera le 15 octobre et au cours de laquelle, un chasseur de quarante-deux ans ramènera à lui seul douze prisonniers et deux mitrailleuses. Baptiste reste en réserve, avec les deux sections de mitrailleuses restantes et les hommes des 8e et 9e compagnies. Le 19 octobre, c’est à son tour de partir, sous les averses glacées, avec la 9e compagnie, renforcer les lignes tenues par les soldats du 152e R.I. dont les fantassins s’étaient jetés en avant, en direction de la lisière sud du parc de Sailly et de son château, qu’ils avaient arrachés aux Allemands. Chasseurs et fantassins durent subir les tirs d’artillerie les plus violents, la précarité du ravitaillement et les longues nuits sans sommeil dans des trous d’obus et les ébauches de tranchées. Les 18, 19, 20 octobre, Baptiste s’est dépensé sans compter sous les bombardements, exposant sa vie à tout instant, afin de venir en aide à des soldats enfouis dans leurs abris effondrés, gagnant ainsi sa deuxième citation à l'ordre de la division :
« … A été un exemple de courage en aidant à plusieurs reprises à déterrer ses camarades ensevelis par les obus; a sauvé la vie à plusieurs d'entre-eux.
Chasseur toujours volontaire et très courageux. »
Les nerfs sont éprouvés, les corps brisés par la fatigue et les privations, les âmes meurtries par la perte des camarades, les scènes de désolations et les horreurs entrevues. Le moral est au plus bas et les soldats ne vivent plus que pour la prochaine relève, la lettre ou le colis familial qu'apportera le vaguemestre, à moins qu'il n'ait été abattu en chemin par une balle ou un obus solitaire.
Collection Benedetti
« Je m'étonne fort de ne recevoir point de vos nouvelles, je ne sais pas pourquoi et je suis très impatient.
Si j'en ai pas de vos nouvelles, vous n'aurez plus des miennes (sic).
Vous m'enverrez quelques mots et un petit colis que j'avais demandé à la maman.
Je termine en vous embrassant
Baptiste ».
Le 24 octobre, le bataillon dont 150 chasseurs sont encore tombés dans les combats de Sailly-Saillisel, quitte enfin ses positions avancées pour aller bivouaquer dans les bois de l’Endurance, dans la région de Haudecourt. Le 27 octobre, le 64e bataillon est acheminé à Oresmaux, puis le 1er novembre en Alsace.
Pour l'état-major, la bataille de la Somme, c'est une litanie de chiffres qui alimenteront les communiqués officiels : vingt-cinq villages arrachés aux Allemands, cent cinquante canons capturés, cent mille Allemands prisonniers et quatre cent trente milles tués. Français et Anglais taisent les chiffres de leurs pertes en vies humaines, que l'on estime à six cent vingt deux-mille hommes dont les deux tiers sont de nationalité britannique. C'est aussi pour les familles Aullènoises, de nouvelles lettres annonçant la disparition d'êtres chers :
- L'artilleur LUCCHINI Dominique, du 4e groupe colonial, tombé le 9 juillet 1916,
- Le soldat TOMASINI Jean-Jacques tombé dans les rangs du 34e régiment colonial, le 23 août 1916,
- Le chasseur du 27e B.C.A, LANFRANCHI Jacques Pierre, disparu devant Bouchavesne le 4 septembre 1916,
- Le soldat SANTARELLI Xavier, tué à Clery le 23 du même mois,
- Le caporal du 23e B.C.A, TAFANI François Marie, décédé à St Pierre de Vaast, le 5 novembre 1916.
L'opinion publique s'alarme avec la montée en ligne des « bleuets » de la classe 1917. Joffre promu maréchal de France, doit laisser la place au général NIVELLE, auréolé de ses récents succès à Verdun. Les bataillons de chasseurs alpins sont à nouveau dispersés, certains rejoignant les montagnes enneigées des Vosges, à l'exemple du 28e B.C.A de Grasse, tandis que les autres restent sur leurs positions.
« C'est le repli allemand » titrent soudainement les journaux de mars 1917. L'ennemi vient d'exécuter avec succès et à l'instigation du stratège HINDENBURG, sa retraite sur une nouvelle ligne fortifiée, préalablement édifiée. Ce mouvement qui vise à raccourcir le front, s'accompagne de la destruction systématique des outils de productions industriels et agricoles des zones évacuées. Nos soldats, dont la grande majorité est issue du monde rural, serrent les poings de colère en découvrant les vergers et les instruments aratoires saccagés, les puits pollués par le fumier et les ordures. Les statues ont été renversées, les châteaux et les églises incendiés, les écluses et les ponts dynamités. Les artificiers allemands ont pris soin de disposer des bombes à retardement dans des édifices volontairement épargnés. Les explosions soudaines qui en résultent, tuent indistinctement militaires et civils. Pour le 64e B.C.A, l'heure a sonné de rejoindre le secteur du Chemin des Dames, où le général NIVELLE organise la prochaine offensive française, à l'endroit même où l'attendent les armées ennemies.
Au revoir pour aujourd'hui et surtout courage…
Après une marche nocturne, lente et pénible, sous une pluie pénétrante, Baptiste se trouve en position avec ses camarades de la 66e division alpine (5e, 6e, 24e, 27e, 28e, 46e, 64e, 67e, 68e B.C.A) au matin du 16 avril 1917, dans le bois de Beaumarais, devant le village de Craonne. Ils devaient partir en appui des troupes chargées de la rupture. Malheureusement, les régiments d’infanteries (R.I) et les chasseurs du 27e B.C.A formant la première vague, décimés par le feu des mitrailleuses et n’ayant pu atteindre leurs objectifs (tranchée de Lutzen) les chasseurs du 64e bataillon durent retourner à leurs bivouacs, à 16 heures dans le bois des Couleuvres (seul un peloton du 27e B.C.A a pu faire prisonniers 54 allemands dont un officier, prendre 2 mitrailleuses et 5 fusils mitrailleurs avant de se replier, faute de munitions). Le jour même de sa montée en ligne, Baptiste participa à une prise d’armes organisée en l’honneur d’officiers italiens et d’une notabilité serbe en visite sur le front.
Chaque fanfare y alla de son répertoire et le 64e bataillon ferma la marche au pas cadencé, tête à droite et en grande tenue. Puis l’ordre fut donné de former le carré et le général divisionnaire, qui avait dit sa satisfaction de commander une formation si vaillante, demanda de crier «Vive la Serbie ». Nul ne saura jamais si Baptiste fut de ceux qui hurlèrent en réponse : « Permissions ! On veut nos permissions !... ».
Les chasseurs du 64e bataillon reviennent, dans la nuit du 18 au 19 avril, en soutien dans le bois de Beaumarais où ils relèvent leurs camarades éprouvés du 27e B.C.A qui rétrogradent dans les abris de la butte aux Pins, au nord-est du bois. Ils occupent, sous un bombardement constant d’obus lacrymogènes et asphyxiants, ces positions de seconde ligne jusqu’au matin du 4 mai, perdant près de 150 hommes et gagnant la citation suivante : « Le 64e bataillon de chasseurs alpins, sous le commandement du chef de bataillon GRIDEL, ayant relevé dans un secteur d’attaque, est resté dix-sept jours en lignes, sous un bombardement continu et violent. Malgré les pertes éprouvées, a fourni un effort magnifique, d’une part en relevant les organisations défensives du secteur, martelées par le tir ennemi, d’autre part en poussant avec ténacité des travaux offensifs très délicats à moins de 200 mètres de l’adversaire ».
Le 5 mai 1917, la mort frappe au Chemin Des Dames et dans les rangs du 4e bataillon de chasseurs, le Sous-Lieutenant SINONCELLI Ange-François, originaire d’Aullène.
Malgré le bombardement, il a bien fallu évacuer morts et blessés, sur brancard tout d’abord, puis à l’aide de petites charrettes à bras, parfois dans la boue jusqu’au dessus des genoux, vers le poste médical dénommé Monaco. Les chasseurs les plus gravement atteints y sont pris en charge par les médecins tandis que les tués et les blessés les plus valides sont acheminés plus au nord, au village de Beaurieux. Le cimetière militaire de Monaco ne cesse de s’agrandir chaque jour, des aumôniers et officiers d’Etat-civil, oeuvrant à chaque instant, recueillant les effets personnels dans de petits sacs en toile, bénissant les dépouilles que l’on dépose dans des cercueils de bois blanc, mal dégrossi. Dans ces terrains marécageux, des équipes de fossoyeurs ne cessent de creuser des alignements de fosses sablonneuses, que l’eau envahit rapidement. Les cercueils y flottent comme des barques et les corps s’y dissolvent rapidement.
Le 4 mai 1917, deux compagnies du 18e R.I enlèvent, au cours d’un assaut irrésistible, les ruines du village et la lisière sud du plateau de Californie. Au prix d’énormes pertes humaines (1100 hommes et 38 officiers) les 18e R.I et 34e R.I, conserveront jusqu’au 6 mai, leurs positions, face aux deux contre-attaques de la Garde Prussienne.
Le lundi 14 mai, en position sur le plateau de Californie, Baptiste rédige hâtivement, au crayon, une carte à l'intention de sa famille :
« Bien chers parents,
Santé en attente pour le moment comme j'ai le désir qu'il en sera de vous.
Je me trouve sur le plateau de Craonne et je crois que l'on attaquera aujourd'hui même.
C'est trop pénible a vous écrire, vous devez comprendre le motif.
Au revoir pour aujourd'hui et surtout courage.
Bien le bonjour aux parents.
Donnez des renseignements, sur mon état de santé à Joseph.
Je termine en vous embrassant à tous, votre fils qui pense à vous.
Baptiste. »
Son compatriote Lesy Maxime, natif d’Aullène, lieutenant au 413e R.I, sera tué à Craonne, le 15 mai 1917.
Du 24 mai au 31 mai au soir, le 64e B.CA se trouvait être de nouveau au repos dans les bois de Beaumarais où il était néanmoins astreint à de multiples corvées de ravitaillement en munitions, au profit des unités qui occupaient les premières lignes. Le 24e bataillon alpin était, quant à lui, déjà en position depuis une semaine près des ruines de Craonne, à l'est du plateau, sur des retranchements qu'occupaient les soldats d'un bataillon du 413e R.I. Le 25 mai, Baptiste assiste fasciné au combat aérien que livre l'as français, Guynemer, contre trois aéroplanes biplaces ennemis. L'avion aux cocardes tricolores manœuvre habilement pour se placer en arrière et au-dessous de ses adversaires. Dés les premières rafales, l'un d'entre eux perd une aile et s'écrase en tournoyant dans les arbres, près de Corbeny, au nord-est de Craonne. Dans les bois de Beaumarais, le 28e B.C.A, appelé à relever les soldats du 18e R.I, à la gauche des positions qu’iront tenir Baptiste et ses camarades, se tient fraternellement aux côtés du 64e. Il est l'heure, pour nous de le retrouver sur le plateau de Californie, après l'avoir quitté ce matin du 1er juin 1917, alors qu'il installait sa mitrailleuse devant le poste de commandement de son bataillon.
Un ancien chasseur ignore la peur…
Dès le début de la journée du 1er juin 1917, il apparut clairement aux chasseurs du 64e bataillon que l'ennemi préparait une nouvelle attaque.
Ce sont tout d'abord les avions qui se font plus nombreux et qui signalent aux canons allemands les positions des postes de commandement, des observatoires et des artilleurs français. C'est alors que l'artillerie lourde entame un pilonnage systématique de ces objectifs situés en arrière de nos premières lignes. Notre état-major n'ignore pas que l'adversaire vient d'acheminer vers le secteur, deux nouvelles divisions, la 15e qui provient du front lorrain et la 41e qui arrive de Roumanie. Les soldats bavarois qui composent l'effectif des trois régiments d'infanterie de la 15e division, sont arrivés au Chemin des Dames le 12 mai 1917.
Après avoir reçu leurs nouvelles dotations en mitrailleuses, ils sont montés en ligne devant le plateau de Craonne afin de relever la 213e division brandebourgeoise, le 19 mai.
L'un des trois régiments qui prennent ainsi position est le 32e, héritant des tranchées qui font face aux chasseurs du 24e B.C.A. Soumis à un bombardement français usant d'obus suffocants, cette unité va perdre quarante-sept des siens en trois jours. Les Bavarois, pris à partie par nos mitrailleuses dès qu'ils tentent d'organiser des convois de ravitaillement, se résignent à boire de l'eau stagnante et polluée, ce qui occasionne une gravissime épidémie d'infections intestinales.
La 41e division allemande a fourni les 152e et 148e régiments pour l'offensive directe sur le plateau de Californie. Spécialement entraînés dans une suite de répétitions minutieuses à l'enlèvement de cet objectif, les soldats allemands ont été regroupés en « Stosstrupen », dont l'équivalent français serait les sections d'assauts. Equipés de lance-flammes, leur mission est de surgir brusquement dans les premières tranchées françaises et de progresser rapidement vers les postes de commandement afin de les neutraliser. Ordre leur est donné de contourner sans s'y attarder, les éventuels îlots de résistance et de paralyser notre riposte en éliminant les officiers supérieurs. Les grenadiers et fusiliers qui doivent les suivre en vagues compactes submergeront les survivants isolés, abasourdis et restés sans ordres.
Afin d'appuyer cette action, l'artillerie allemande doit museler les canons français, encadrer latéralement et en arrière le secteur concerné par l'assaut, empêchant ainsi toute arrivée de renforts. Nous retrouvons là la technique du compartimentage du front, chère au général français Mangin et utilisée sur le front de Verdun.
Le 2 juin, c'est directement sur les tranchées de premières lignes tenues par les Alpins que se déverse une pluie d'obus de gros calibre. Baptiste et ses camarades doivent se terrer dans leurs abris tout le jour et ce n'est qu'à partir de 23 heures que le feu de l'artillerie s'estompe.
Il fait chaud et sec et la poussière soulevée par les impacts d'obus obscurcit le ciel et s'insinue dans les abris. Les tranchées creusées dans le sable s'écroulent sans cesse et les chasseurs ne disposent d'aucun matériel pour les consolider.
Dans la nuit, la 7e compagnie du 64e bataillon, restée en réserve, envoie deux sections renforcer les 6e et 8e compagnies qui atteignent ainsi un effectif de quatre-vingt hommes chacune.
Le reste de la 7e compagnie s'installe avec son capitaine (Pauchard) à la carrière, où elle retrouve les deux sections de mitrailleuses sous les ordres du lieutenant TERRIS et une poignée de pionniers (une cinquantaine d’hommes en tout). Une reconnaissance d’officiers du 28e B.C.A. monte, dans la nuit, sur le plateau de Californie, afin de préparer, à l’ouest, la relève du 18e R.I.
Bientôt, des détachements ennemis viennent reconnaître nos positions afin d'évaluer leur état de démolition. Reçus à coup de fusils et de grenades, ils décrochent sans insister, après avoir décelé une faiblesse dans le dispositif français, à la jonction des deux bataillons alpins.
A trois heures, ce matin du 3 juin 1917, se déclenche un bombardement allemand d'une intensité inconnue jusqu'à présent. Toutes les deux secondes, un obus s'abat sur les Alpins, effondrant les sapes, bouleversant les tranchées, pulvérisant ou ensevelissant les hommes et les armes.
Partout les dépôts de cartouches et de grenades explosent, les fils téléphoniques sont hachés et un énorme nuage de fumée recouvre le champ de bataille.
Les chasseurs envoient plus de cinquante fusées pour demander une riposte de la part de notre artillerie, mais nos observateurs, en poste dans l’ouvrage Monastir sur la cote 120, ne les aperçoivent pas.
Les groupes de choc allemands lancent leurs attaques à trois heures et trente minutes alors que le tir de leurs canons s'allonge. Ils abordent de front les positions françaises mais surtout s'insinuent le long du bord est du plateau, dans le vide laissé faute d'effectifs suffisants, entre la 6e compagnie du 64e B.C.A et la 4e compagnie du 24e B.C.A qui occupe le cimetière. L'effet de surprise est complet et le saillant que fait le plateau au-dessus de Craonne est emporté. A l'ouest, les grenadiers allemands progressent très rapidement dans le dos des Alpins, sur la lisière sud du plateau en direction de la carrière. A l'est, ils encerclent et exterminent les hommes de la 4e compagnie dont seuls le capitaine et quelques soldats, peuvent se replier par une sape possédant une sortie dirigée vers le sud. Pour les autres, c'est la fin. Pris au piège dans les anciens abris allemands dont l'entrée est orientée vers les lignes ennemies, ils sont abattus à coups de revolvers ou de jets de grenades dès qu'ils en émergent. Une poignée de chasseurs se retranche dans les casemates où ils sont brûlés vifs par les lance-flammes et les explosifs au phosphore. Les jets de liquide enflammés poursuivent et rattrapent les quelques survivants qui avaient quitté les tranchées pour se replier en terrain découvert.
Après le massacre de l'aile gauche du 24e B.CA, nos adversaires ont le champ libre pour aborder la 3e compagnie qui occupe les positions du centre. Résistant à ceux qui les attaquent de face, les chasseurs alpins sont bousculés par les ennemis qui viennent du cimetière. Seuls vont tenir bon, la réserve du bataillon qui défend le poste de commandement situé dans un tunnel (deux pelotons, dont un de grenadiers, et des mitrailleurs) et la 2e compagnie qui assure l'aile droite du dispositif. Les grenadiers contre-attaquent et un violent combat à la grenade s'engage, au cours duquel leur capitaine est tué.
Pour le 64e B.C.A, la situation n'est guère meilleure. La 6e compagnie désorganisée par le feu de l'artillerie et prise à revers, est rapidement submergée par l'attaquant. Seuls subsistent quelques îlots de résistance qui, assaillis de tous côtés, se défendent encore et refusent de déposer les armes. Sommé de se rendre, un officier français retranché à la porte de son abri, pour toute réponse, décharge le contenu de son revolver sur ses agresseurs avant d’être abattu.
L’artillerie française qui ne peut percevoir la situation, se décide à déclencher un tir de barrage qui s'abat directement sur les tranchées françaises, ajoutant ainsi à la confusion. Les Alpins tirent fusées sur fusées pour signaler l'erreur de coordonnées, peine perdue. Baptiste et les chasseurs qui assurent la protection du petit état-major du bataillon, soutiennent de leur mieux leurs camarades de la 8e compagnie qui encaissent le choc de l'attaque de manière frontale. Ils doivent aussi se défendre contre les ennemis qui progressent sur leur droite, depuis le saillant. Il y a là, groupés autour de la carrière, quarante hommes de la 7e compagnie et leur capitaine, la section de pionniers et les deux sections de mitrailleurs avec quatre pièces et huit fusils automatiques que la poussière a rendus inutilisables. Baptiste doit nettoyer le sable qui bloque à plusieurs reprises le mécanisme de son arme brûlante. Les Allemands sont tout près, à soixante mètres tout au plus et veulent faire sauter cet ultime point d'appui qui entrave leur progression vers le plateau des Casemates situé plus à l’ouest. Leurs grenadiers, en bras de chemise, le casque lourd vissé sur le crâne, bondissent hardiment de trous d’obus en boyaux écroulés. Ils jettent de petites grenades en fonte très meurtrières sur les chasseurs dont beaucoup s'écroulent, touchés par les éclats. Les survivants qui sont secondés énergiquement par leurs officiers, ripostent à l'aide des tromblons lance-grenades. Deux officiers, l'un du 64e (Lieutenant Susini) et l'autre du 24e (Lieutenant Rivière) réussissent à traverser le rideau de fer et de flammes, afin de rendre compte au commandant du 9e groupe, des terribles évènements qui se déroulent devant Craonne. Des mesures énergiques sont alors prises et une compagnie du 5e B.CA, au repos dans le village de Craonnelle, à l’ouest de Craonne, se porte en avant pour soutenir les éléments du 24ème qui résistent encore. Devant la carrière, la situation devient désespérée pour la poignée d'alpins qui refusent de céder. Organisées pour faire face à une attaque venue du nord, les positions des mitrailleuses creusées devant le poste de commandement se prêtent mal à la défense latérale.
Un a un, les mitrailleurs ont été mis hors de combat et Baptiste est maintenant seul pour servir sa pièce. A l'officier blessé qui l'exhorte, il répond par la devise d'un vétéran : « Un ancien chasseur ignore la peur ». Il a du désolidariser son arme de son socle et la déplacer sur le parapet, afin de couvrir plus efficacement son flanc droit.
Exposé et repéré, il devient la cible convergente des tirs ennemis auxquels il riposte par de longues rafales qui foudroient plusieurs grenadiers allemands au cours de leur progression. Bientôt la culasse claque dans le vide et il lui faut approvisionner l’arme d’une nouvelle bande de cartouches. A quelques pas, une silhouette se dresse brièvement, l’ajuste de son revolver et tire. Baptiste ressent un choc violent en plein front, ses genoux fléchissent et il se sent glisser mollement en arrière tandis que dans les brumes de sa conscience, s’imprime l’image fugitive d’un morceau de ciel blanc de poussière, qui tournoie puis s’éteint.
Le chasseur Pierre Félix Tomasini, cousin germain de Baptiste qui vient de se replier à son poste, situé quelques dizaines de mètres plus au sud, près du poste de commandement, assiste, impuissant, à la scène. Les Allemands peuvent enfin prendre pied au sein même du réduit défensif, capturant les mitrailleuses et les hommes blessés qui s'y trouvent encore. Le message radio ennemi qui annonce ce succès à son état-major est entendu par les opérateurs français qui en réfèrent à leurs supérieurs.
Au plateau des Casemates, les Basques et Béarnais des 49e et 18e RI ont réussi à contenir les attaques répétées de trois régiments allemands et à les repousser vers le ravin de Vauclerc. Un bataillon du 18ee R.I déploie une compagnie sur son flanc droit afin de conserver la liaison avec les survivants de la 8e compagnie de chasseurs alpins du 64e B.C.A. Dés 9 heures du matin, le 28e bataillon de chasseurs alpins, privé de la plupart de ses officiers, partis en reconnaissance dans la nuit sur le plateau, traverse les bois de Beaumarais sous le commandement du lieutenant VIAS et prend position aux lisières nord et ouest, face aux vestiges de Craonne et au plateau de Californie.
A deux heures de l'après-midi, un déluge d'obus français tombe sur le saillant occupé par les ennemis, tandis que deux compagnies du 28e B.C.A (1ère et 2e compagnie) montent sur le plateau des Casemates, afin de mener une contre-attaque. Les hommes doivent cheminer par petits groupes au sein d'un paysage lunaire, la gorge brûlée par la poussière de craie et la fumée, dans le fracas des explosions et sous l’œil vigilant des ballons d’observation ennemis. L'objectif des chasseurs est d'amorcer un mouvement de tenaille qui refermera la poche crée dans nos lignes.
A l'est, trois sections du 28e B.C.A mêlées aux éléments des 24e et 5e bataillons tiennent en respect les Bavarois. Au sud, un groupe franc du 9e groupe (5e, 24e, 64e B.C.A) se jette en avant sous les ordres du sous-lieutenant FILLEUL, soutenu à l'est par les deux compagnies essoufflées du 28e.
La lutte titanesque engagée pour la possession du plateau de Californie atteint son paroxysme et elle paraît un instant indécise. Les adversaires se disputent chaque parcelle de ce terrain dévasté, se fusillent à bout portant au détour d'un boyau, engagent des duels à la grenade d’un trou d’obus à l’autre. Les officiers payent de leurs personnes pour entraîner leurs hommes et tombent à leurs cotés. C’est le sort du capitaine BONNELLI commandant la 2e compagnie du 28ebataillon, tué par un obus, puis du chef du groupe franc, qui est grièvement blessé. Ses hommes l’évacuent vers l’hôpital divisionnaire où il décédera peu après. Vers 14 heures 30, un observateur du 49e R.I, situé sur le plateau des Casemates, voit deux groupes de prisonniers allemands descendre les pentes du plateau : le premier compte six hommes et le second quatre.
Enfin, comme tirées en arrière par une main invisible, les unités allemandes amorcent un mouvement de retraite suivies pas à pas par les Alpins qui retrouvent leurs anciennes positions jonchées de morts, ainsi que la mitrailleuse de Baptiste qui tout comme les trois autres n'a pu être emportée par les Allemands. Aussitôt des patrouilles du 5e B.C.A vont pousser jusqu'au cimetière afin de verrouiller le chemin creux par lequel les ennemis avaient réussi leur infiltration. L'artillerie allemande, pour nous interdire de progresser plus en avant, reprend le bombardement du plateau alors que ses troupes n'en ont pas encore terminé l'évacuation, parachevant ainsi leur destruction. A 21 heures, la 3e compagnie du 6e B.C.A, qui s’est ravitaillée au centre Aurousseau, dépasse les positions tenues par le 5ème B.C.A, au nord du cimetière. Elle reprend aux Allemands une tranchée démolie, capturant plusieurs blessés, dont un officier. La 1ère compagnie du 6e bataillon, s’installe en réserve dans les ruines de Craonne tandis que la 2e compagnie monte renforcer, plus à l’ouest leurs camarades du 28e B.C.A.
Au soir du 3 juin, le 64e bataillon dont il ne reste qu'une centaine d'hommes et le 24e bataillon, sont relevés par deux compagnies du 6e alpin et les chasseurs du 46e B.C.A qui occupent la carrière. Le 24e dresse, lui aussi, le bilan de ses pertes qui s'élèvent à cent dix-neuf tués et quatre-vingt-quatorze blessés. Au plateau des Casemates, le 34e R.I prend son service dans la nuit du 5 au 6 juin.
Au total, six cent soixante chasseurs alpins ont été mis de combat au cours de la seule journée du 3 juin. En raison de la concentration et de la violence des bombardements successifs, les brancardiers ne retrouveront qu'un nombre restreint de corps. Pierre-Félix, assisté du chasseur corse du 64e B.C.A, CLEMENTI Paul, originaire de Carghjacca, commune proche du village d'Aullène, procède à l'identification des restes mortels de son cousin et les achemine jusqu'au poste de secours situé au sud-est de Craonne (poste Redan?). Il y dresse l'inventaire des objets personnels de Baptiste recueillis sur son cadavre. Dans le portefeuille se trouvent divers documents parmi lesquels figurent le livret militaire individuel, le texte d'une chanson ayant pour thème «les embusqués de l'arrière» et un émouvant mot d'adieu inscrit à l’encre sur la reliure cartonnée d’un livret militaire allemand.
« Mr Benedetti Baptiste
Mitrailleur au 64ème alpin
Né en 1894
Classe 1914
Adieu la belle vie
Adieu l'amour
Adieu ma chérie
(Marie)
Adieu l'amitié »
Mot d’adieu de Baptiste Benedetti, retrouvé sur son corps, le 3 juin 1917
Sa dépouille est ensevelie dans l'alignement de plusieurs de ses camarades sous un petit rectangle de terre marqué d'une croix blanche. On peut y lire l'inscription suivante :
« Benedetti Baptiste - mort pour la France - 3 juin 1917
- combats du plateau de Craonne - âge 23 ans ».
Selon un procédé courant à l'époque, son cousin dépose sur la tombe une bouteille de verre qui contient un papier précisant l'identité du défunt.
Le soldat Clementi profitera d'une permission pour se rendre à Aullène, apporter les effets de Baptiste à ses parents, puis il repartira au combat se faire tuer à son tour, en juillet 1918.
Un communiqué militaire officiel évoqua sobrement cette journée tragique :
« 3 juin, 2 heures après-midi : Le bombardement ennemi signalé hier dans la région de Craonne s’est étendu et a continué pendant la nuit avec une extrême violence sur tout le front des plateaux de Vauclerc (plateau des casemates) et de Californie. Les Allemands ont finalement déclenché cinq attaques successives à gros effectifs, dont trois sur la partie est du plateau de Californie et deux sur la partie ouest et sur le plateau de Vauclerc. L’ennemi a été partout repoussé ; ses pertes ont été importantes, notamment dans la région est de Californie, où les détachements d’assaut de l’adversaire, disloqués par nos feux, ont laissé un grand nombre de cadavres en avant de nos tranchées. Un certain nombre de prisonniers sont restés entre nos mains. La lutte d’artillerie a été également vive dans le secteur de la Bovelle et entre la Miette de l’Aisne.
11 heures du soir : D’après des renseignements complémentaires, les attaques allemandes dirigées pendant la nuit et ce matin, sur les plateaux de Vauclerc et de Californie, ont été exécutées par des unités appartenant à deux divisions. Sur le plateau de Vauclerc, les Allemands ont mené l’assaut en vagues très denses ; en certains points les fantassins ennemis se tenaient coude à coude. Une première attaque a reflué en désordre sous nos feux ; une seconde, plus violente accompagnée de jets de flammes, a pu prendre pied quelques instants dans nos éléments avancés, mais en a été immédiatement rejetée par une contre attaque énergique de nos troupes. Toutes les tentatives dirigées sur la côte ouest et la partie centrale du plateau de Californie ont complètement échoué. Les mêmes régiments qui s’étaient couverts de gloire en enlevant les 4 et 5 mai, Craonne et les plateaux de Vauclerc et de Californie, ont fait, de nouveau, preuve d’une admirable vaillance dans la défense des positions qu’ils avaient conquises ».
Le 17 novembre 1917, un officier descend de l’observatoire d’artillerie situé sur la cote 120 (Monastir), traverse les ruines de Craonne puis monte sur le plateau dévasté ou il observe des cadavres laissés à l’abandon, des bouts de tibias qui dépassent et autour desquels flottent des étoffes pourries. Il s’arrête un instant devant un amas de chiffons verdâtres, rongés, des cartouchières et de-ci, de-là, un os qui perce. A la forme de la baïonnette, il identifie un mitrailleur.
Dès la fin du conflit, les officiers d'état civil de la 2e région militaire entament dans la région, des travaux de regroupement des cimetières provisoires et des tombes isolées, organisant les vastes nécropoles militaires de Pontavert puis de Craonnelle en 1920. Lorsque les parents de Baptiste s'enquièrent auprès des autorités, de l'emplacement de sa sépulture, force est de constater que celui-ci reste inconnu. Il faudra de longues années de patientes recherches à sa famille, pour que soit reconstitué l'enchaînement des évènements à l’origine du mystère entourant le lieu du dernier repos de Baptiste.
Présumé inhumé dans l'un des ossuaires…
Trois générations de Benedetti sont là, en cette année 2002, sur ce plateau envahi d’une végétation sauvage, à contempler les vestiges de la carrière devant laquelle Baptiste est tombé victime de son devoir, quatre-vingt cinq ans plus tôt.
Les tranchées qui composaient le dispositif de défense du poste de commandement qui s’y abritait en juin 1917, sont encore parfaitement visibles, bien qu’en grande partie comblées.
Plus loin, à l’est, quelques pierres tombales moussues et semées sous les arbres, marquent l’emplacement du cimetière civil du vieux Craonne, où furent exterminés le 3 juin 1917, les chasseurs de la 4e compagnie du 24e bataillon alpin.
Du Craonne de 1914, il ne subsiste plus qu'une simple évocation et l'on peine à imaginer qu'un village eut réellement existé en ce lieu.
Si le lieu du décès ne fait aucun doute, l’énigme qui reste à résoudre concerne l’emplacement du poste de secours où fut enterrée la dépouille de Baptiste.
Ce qui reste des archives de l’état-civil de l’époque, conservées par le service des sépultures militaires de l’Aisne, nous permet de nous faire une idée quant à la répartition des zones d’inhumations les plus importantes du secteur de Craonne.
Sur le plateau de Californie même, existait un cimetière provisoire. Constitué dès la fin de l'année 1917 alors que les Allemands nous avaient cédé la place, il regroupait les corps des centaines de soldats appartenant aux deux camps, tués au cours des violents combats successifs et dont les ossements furent retrouvés sur les plateaux de Californie et des Casemates.
Sous le saillant du Jütland qui marque la limite ouest du plateau, on retrouve la trace d'un cimetière provisoire, indifféremment nommé « cimetière du 1er R.I» ou «cimetière du Jütland». Cet endroit marque le point ultime atteint par une compagnie du 1er régiment lors de la désastreuse attaque du 16 avril 1917.
Peu de chasseurs alpins y reposaient, un seul relevé d'état-civil fait allusion à quelques hommes des 27ème et 41ème bataillons.
Il paraît illusoire d'y chercher la trace de Baptiste car la distance à parcourir depuis la carrière est grande et l'accès depuis celle-ci y est moins direct que pour le saillant opposé. Il faut garder à l'esprit les efforts importants que durent fournir les deux hommes qui transportaient un corps inerte et sanglant et leur cheminement embarrassé le long de boyaux de communications exigus et sinueux. C'est très logiquement vers le sud ou l'est du village, qu'ils se sont acheminés avec leur funèbre fardeau à la recherche du poste de secours du 9e groupe (64e, 24e, 5e B.C.A).
Si l'on porte le regard dans la direction du sud, on rencontre à plus d'un kilomètre du vieux Craonne et dissimulé dans le bois de Beaumarais, l'ouvrage fortifié de Fillot, associé à un site d'inhumation qui comprend une poignée de tombes datées du 23 septembre 1914 au 16 avril 1917.
Il constituait un premier relais pour les groupes de brancardiers qui acheminaient les blessés et les morts depuis les premières lignes jusqu'aux centres de secours d'Aurousseau et de Monaco, avant les ambulances du village de Beaurieux, situées dans la zone arrière.
On n'y retrouve pas trace de tombes de chasseurs alpins.
Au sud-est et plus proche du village, se trouvait en janvier 1918, un regroupement de cent vingt sépultures et fosses communes, situé directement à l'aplomb des tranchées tenues par le 24ème bataillon.
De nombreux indices nous font penser qu'il s'agit bien là de l'emplacement recherché. En effet les chasseurs alpins des 5e, 6e, 24e, 28e, 30e, 52e et 68e B.C.A représentent une part importante des victimes.
Cinq de ces unités appartiennent à la fameuse division bleue et furent engagées pendant les combats acharnés du 1er au 4 juin.
Ces dates sont d'ailleurs inscrites sur les tombes de trois chasseurs dont les dépouilles reposent actuellement dans la nécropole de Craonnelle et qui proviennent de ce charnier. L'examen du relevé d'état-civil montre qu'en 1918, quarante et un des cent soixante deux corps qui y reposent ne sont pas identifiés par l’officier d’administration qui parcourt le site. Cela veut dire que dans près de neuf pour cent des cas, il ne trouve en surface, aucune inscription, sur une croix où dans une bouteille, qui lui permette de donner un nom au défunt.
Les tombes identifiées se répartissaient de la manière suivante :
- Sépultures sans indication de l’unité d’appartenance : 47
- Sépultures concernant un chasseur alpin : 35 dont 8 relevaient du seul 24ème B.C.A
Bien que Baptiste n’apparaisse pas dans ce lugubre décompte, rien n’interdit de penser qu’il ne soit l’un des nombreux inconnus qui y reposent en 1918. Ce cimetière qui dépendait du relais de brancardiers nommé Redan, se situait à moins de sept cent mètres des ruines du village et devait être fréquemment la cible de l’artillerie allemande.
Le témoignage écrit de l’un des aumôniers de la 66e division alpine, nous le confirme, lui qui en juillet 1917, doit fréquemment redresser les croix renversées, recouvrir les morts que les obus ont découverts, ramasser les membres dispersés.
Le bombardement qui brise les croix et les bouteilles n’est pas la seule cause de la perte d’information. L’humidité du sol qui s’insinue par le goulot mal scellé du flacon, ronge lentement le papier et dilue l’encre. Parfois, un soldat venu rechercher un proche ou un camarade, ouvre les bouteilles et abandonne par terre les parchemins qu’elles contenaient.
La nature même du sol, marécageux, accélère le processus de décomposition des corps et des effets personnels.
Un exemple nous permet d'appréhender l'importance de ces phénomènes qui rendent impossible toute identification ultérieure.
Au détour d'un état de perte établi en mai 1917, par le bureau chargé des effectifs, à partir du carnet du groupe de brancardiers de la e D.I, on apprend que vingt-deux soldats des 8e, 208e R.I et 68e B.C.A, victimes des attaques d'avril, viennent d'être enterrés au cimetière sud-est de Craonne. Seule la moitié de ces soldats figurent sur le relevé administratif établi en janvier 1918, sur les mêmes lieux et encore faut-il noter que deux noms, sans doute devenus illisibles, ont fait l'objet d'une interprétation erronée de la part du rédacteur du document. Au même moment où l’officier d’état-civil arpente les lieux, un poilu qui chemine depuis les lisières est du bois de Beaumarais aux bastions de Chevreux, rencontre de nombreux corps de soldats, tués là en 1917 et abandonnés à même le sol.
Quant aux soldats du 18e R.I et du 49e R.I, qui assuraient l'aile gauche du 64e B.C.A, sur le plateau des casemates, ils inhumèrent neuf de leurs camarades tombés le 3 juin 1917, au poste de secours de Craonnelle.
Si comme à Pontavert, certaines des nécropoles de regroupement du Chemin des Dames existent dès 1915, il faudra attendre le 31 juillet 1920 pour qu'une loi instaure la création des cimetières militaires nationaux. De nombreux témoignages rapportent que dans les zones dévastées et classées «rouges» par le bureau de topographie de la reconstruction foncière, les services des sépultures, débordés, n'entreprirent aucun aménagement jusqu'à cette date. On peut facilement imaginer qu'un grand nombre des indices permettant la localisation et l'identification des tombes les plus isolées furent perdus.
Un correspondant du journal l'Illustration qui visite le plateau de Craonne en cette année 1920, grimpe sur le toit d’un ancien observatoire allemand et observe le travail des fossoyeurs annamites se dirigeant deux par deux vers le cimetière de groupement de Craonnelle, portant accroché à un piquet appuyé sur leurs épaules, un mince fardeau de pauvres restes humains, enveloppés dans une toile de tente.
Ces Chinois et Indochinois n’étaient pas des combattants, mais des ouvriers spécialisés dont les contrats d’embauche, d’une durée initiale de trois ans, n’étaient pas parvenus à leur terme à la fin des conflits. Des témoignages concordants laissent à penser qu’ils n’apportèrent pas toujours à leurs missions, l’application nécessaire. Afin de diminuer la charge à transporter, ils furent nombreux à laisser sur le site de l’exhumation, les ossements les plus lourds et en particulier les pieds emprisonnés dans les pesantes chaussures (godillots) cloutés.
Confronté à la colossale tache de l'exhumation des deux cent milles victimes qui reposaient sur le champ de bataille du Chemin-des-Dames, le gouvernement décida de faire appel à des entrepreneurs privés au moyen de l'adjudication, à soixante-quinze francs le corps, prix limite. Ces derniers effectuent à la va-vite, dans le seul soucis de la rentabilité et au moyen d’une main d’œuvre peu qualifiée, la recherche des victimes. Les terrassiers qui sont de toutes nationalités, répugnent à fouiller les corps en décomposition afin d'y rechercher les livrets militaires et les plaques d'identification. Il en est parfois certains qui n’hésitent pas à dépouiller les morts de leurs médailles, montres, bijoux et jusqu'aux appareils dentaires faits en métaux précieux, afin de les revendre clandestinement. Il faut aller vite et l’on entasse les débris humains en vrac, dans un même cercueil sans se soucier de leur respective appartenance. Comment, après cela, s’étonner du faible nombre de tombes identifiées (tout au plus dix-huit mille) que contiennent les nécropoles du Chemin des Dames. Ces pratiques scandaleuses dénoncées par Dorgelès, dans son œuvre romancée Le réveil des morts , sont confirmées par des documents officiels, comme cette directive du 24 avril 1922 :
« Monsieur le Ministre de la Guerre et des Pensions saisi d’une plainte formulée par Monsieur le Secrétaire du Comité mixte franco-britannique… vient de me signaler qu’un certain nombre de terrassiers étrangers, travaillant dans les régions libérées pour le compte des autorités civiles ou des entrepreneurs, dépouillent les corps des militaires qu’ils découvrent, ce qui constitue une odieuse profanation et rend, de plus, toute identification impossible. En vue de réprimer ces pratiques criminelles, je vous prie de rappeler aux employeurs, de la façon la plus formelle, que les délits de ce genre sont passibles de pénalités judiciaires prévues par l’article 360 du code pénal et que les auteurs doivent être déférés aux tribunaux. »
Bien sur, de nombreux défunts, reconnus par leurs proches furent rapatriés chez eux et il suffit d’arpenter les allées des cimetières civils de nos communes pour en retrouver la trace. Combien sont-ils, ceux qui sont restés enfouis sur le champ de bataille et Baptiste est-il l’un des leurs ?
On ne peut écarter l’hypothèse que sa dépouille fut pulvérisée par un obus et que ses restes épars se diluèrent dans cette terre devenue à nouveau fertile.
En 1934, un correspondant du journal l'Illustration revient sur le tragique plateau. Il fait d’abord étape à Craonne, dans le village reconstruit, où un café porte cette enseigne : « Aux courageux rentrants». Plus loin, vers le plateau, il aperçoit le manteau vert que fait la forêt qui repousse sur le sol brûlé. Là ou le soc de la charrue a défriché le sol, ont été exhumés des fils de fer rouillés, obus non éclatés, casques, masques, armes tordues ou brisées, qui attendent d’être enlevés par l'autorité militaire. Il croise sur son chemin, enveloppées par les épis mûrs, trois tombes de 1917, puis salue un paysan défrichant les derniers arpents de son petit domaine et qui lui dit avoir découvert, depuis le matin, les ossements de trois corps.
Seule certitude, les ossements non identifiés, qui furent exhumés dans cette zone, reposent maintenant, fraternellement mêlés dans l’ossuaire du cimetière militaire de Craonnelle. Cette nécropole Nationale, aménagée de 1920 à 1924 et rénovée en 1997, contient 3936 corps, dont 1884 dans une même fosse commune.
Sur la plaque de marbre qui recouvre celle-ci, figurent 71 noms de soldats. 25 d'entre eux (1er R.I et 201e R.I) proviennent des quatre premières rangées du cimetière provisoire du Jutland. Il s'agit de poilus décédés le 16 avril 1917. Un autre soldat (33e R.I) était auparavant enterré au cimetière du poste de secours de Craonnelle, dans la 2e rangée. Il est surprenant de constater que ces ossements se retrouvent fraternellement mêlés, en 1920, dans un même caveau, alors qu’ils reposaient encore en 1918, dans des tombes individuelles identifiées chacune par une croix de bois.
Après tout, le plus important n’est-il pas de considérer que le lieu évocateur du champ de bataille, cette carrière de craie, blessure béante au flanc du plateau et devant laquelle Baptiste, fidèle à son devoir, vécu ses derniers instants puis rendit son ultime souffle, suffit à lui rendre hommage ?
A Liffré le 4 mai 2014.
Tableau N°1:
Répartition des chasseurs de la 66e Division en fonction des zones d'inhumations du secteur de Craonne
Tableau N° 2 :
Répartition des chasseurs de la 66e Division en fonction des zones d'inhumation du secteur de Beaurieux
À principiu di u sicondu Imperu (1852), truvemi sempri 231 banditi. Ancu s’eddu piacia à a ghjenti furistera è ricca di vena à visità i più cunnisciuti ind’u so « palazzu verdi », u banditisimu hè vistu da i Corsi com’è un casticu.
I so causi sò parechji : l’usi, prima, cù a vindetta po l’abitutini di purtà l’armi, ma dinò un’acunumia, un’istruzzioni è una ghjustizia senza fundamenti. U finominu di u banditisimu faci sempri risposta à una crisa agricula, ghjudiziaria o pulitica.
Piglià a machja si faci sempri cù u sustegnu di i parenti è di l’amichi. Sta vita svinturata è dura, a sceglini l’omi forti è risistenti assai. I « rè di a machja » (Tiadore Poli, Gallochju, Bellacoscia) diventani rinumati fendu si ghjustizieri o vittimi di u distinu.
Asistini tandu parechji razzi di banditi : quiddi lampati for di strada da una lita è in l’obbligu di vindicà l’anori di a famiglia po quiddi chì sceglini sta vita par intaressu. Hè quì u limitu trà u banditu d’anori chì tomba, piglia a machja po prova di spariscia, è u banditu parcitori chì arrubba a ghjenti è parciteghja. Hè vera chì certi di a prima razza piglioni dopu a strada di u banditisimu semplici, chì imponi a so leghji cù u tarrori.
Sbarrazzà si di u banditisimi si pudia fà cù un sviluppu di l’acunumia è di l’istruzzioni ma fù a riprissioni a scelta di u Guvernu. Napulioni u IIIzu criò una ghjandarmaria mobili di 945 omi (sciuti da i vultighjori di u 1822), chì cunnisciani u tarrenu, a lingua è i paisani. Funi spapersi nant’à tuttu u tarritoriu in brigati da 6 à 10 suldati. I tarreni intornu à i stradi maiò è i paesi sò smachjati è purtà l’armi hè difesu. I risultati ghjugnini prestu : 63 banditi sò tombi o fughjini. Ma, ind’u 1895, fermani quantunqua 600 banditi ricircati.
U paisaghju agriculu hè carattirizatu da i ripi di petri alzati à l’asseccu chì ritenini a tarra è ni facini lenzi pà a biada (orzu, segala, granu), vigni, aliveti, castagneti, arbureti o urticeddi. U sistema hè adattu à i funzioni idrolichi (tarri tinuti), termichi (i muri sò rifrattori di u caldu). Faci i tarri più lighjeri è impidisci l’irusioni. Sta manera di fà data di u XVIIImu seculu è si compia à a fini di u seculu chì suvita. I più beddi asempii si trovani in Castagniccia è ind’u Capicorsu (maceri fatti à a mità di u XIXmu - fatti da i marinari disimpiigati da a marina à vapori – po abbandunati da a ghjinirazioni dopu !).
Mulini, forri, fragni, aghji, pagliaghji (Agriati) o barracconi (Bunifaziu) parmettini un’acunumia isulana propia in « autarchìa ». Ma prisenta dinò st’acunumia muntagnola, parechji difetti. A so taglia, a so rendita paragunata à un’agricultura di a piaghja, a so alluntanata da i marcati faci ch’edda ùn risisti à a cuncurrenza di i prudutti di u cuntinenti.
1880-1905 hè u periudu di crisa di l’agricultura corsa di modu tradiziunali. Tutti i pruduzzioni sò tocchi. A viticultura hè vittima di u filusserà à parta si da u 1882, l’uliicultura si piglia a cuncurrenza di l’oliu tunisianu, u granu ancu eddu ùn hè più di rendita visti i prezzi di a farina francesa impurtata.
A crisa porta à a miseria, à l’esudu è à l’emigrazioni : 50 000 corsi nati in Corsica sceglini a strada di l’isiliu in cuntinenti (ricensu di u 1911), più di a mità in Marseglia. Altri pigliarani i stradi di i paesi stragneri, u Venezuela (dui di i so prisidenti erani di ceppu corsu), in Arghjintina o in Puerto Ricco, è dinò quiddi di i culunii in Africa.
I primi turisti, omi è donni ricchi abbastanza par vena in Corsica, cumpariscini à parta si da u 1860. Parti è più sò inglesi chì facini un sughjornu arricumandatu da i medichi. Hè prima Aghjacciu chì faci d’attraiu pà u turistu furtunatu : Miss campbell, burghesa scuzzesa, si faci alzà un « cottage » di petra. Scrivi tandu i so « Notes sur l’île de Corse » chì darani à una ghjenti straniera numarosa a voglia di vena nant’à l’isula. Alzarani ancu eddi i casi chì farani u « Quartier des étrangers », intornu à a ghjesgia inglicana è « Le bois des Anglais ».
Ma u turisimu u più impurtentu hè un turisimu di passaghju. Ni tistimunieghjani i strutturi d’accolta com’è u « Grand hôtel Continental » (1894) è u « Cyrnos Palace » (1886) in Aghjacciu, ma dinò altri strutturi, in Calvi o ancu in Vizzavona. Intarissati da a biddezza di a natura salvatica o a lighjenda di Napulioni, appruffitani sti turisti di i prugressi di a navigazioni à vapori è di i ligni rigulari di a cumpagnia Valery.
Ma toccu u 1900, l’isutisimu di a Corsica hè supranatu da l’attichju di i porti taliani o da i sciali di a Costa Azura, i so casinò è i so stabbilimenti di pristighju.
À u XIXmu seculu, quiddu di a rivuluzioni industriali, a Corsica ferma una righjoni di picculi impresi artighjanali fendu prudutti di prima nicissità : arnesi, fabbrica di pasta (alimintaria), cunciaria in Bastia ed Aghjacciu…
L’industria maiò hè impidita da parechji raghjò :
- micca capitali
- pocu bracci
- manudopara paisana di u rurali poca adatta
- mancu d’invistimentu di i sgiò (tutti l’imprisarii sò cuntinintali)
- poca resa di i mineri cù minirali di poca rendita
- costu di u trasportu
- cuncurrenza straniera…
Truvaremi quantunqua uni pochi d’asempii di sta rivuluzioni industriali :
- L’usini mitaddurgichi di A Sulinzara (Jacquinot et Cie), Portu (Chaubon et Cie) è Toga (Impresa Jackson Frères)
- L’usini pà u tanninu di a vaddi di Golu è di Fiumaltu :
Ci n’hè 6 (Barchetta, Casamozza, I Folelli, Ponte à a Leccia, « Champlan » è Fabbricu Vechju) chì facini tanninu cù u legnu di i castagneti vicini. - In fini, guardaremi a riescita ind’i trasporti marittimi di a famiglia Valery cù i so 27 batteddi à vapori. Facini a leia trà A Bastia è Livornu, Marseglia po ancu trà Marseglia è Alger.
Da sempri, quiddi chì t'aviani à chì fà cù a ghjustizia ani pigliatu a machja fendu una vita di for di leghji. In Corsica, stu finominu di u banditisimu hè duratu sin'à u XXmu seculu. U populu ni suppurtava i danni.
L'agricultura tradiziunali corsa (granu, alivi, vigni) hè firmata à l'anticogna è ùn pò risista à a cuncurrenza di i prudutti cuntinintali menu cari.
A crisa porta à a miseria, à l'esudu è à l'isiliu.